Rapports centre-périphéries:
l’adaptation des espaces politiques, économiques, culturels et linguistiques à l’époque contemporaine


Appel à communication


      Les relations « centre-périphérie » jouent un rôle important dans la géographie politique. Les phénomènes sociaux ont tous leur « centre » et leur « périphérie » dont les relations déterminent le fonctionnement des sociétés dans leur complexité, leurs valeurs et leurs traditions. Ces relations ne concernent pas que la sphère socio-politique et les aspects administratifs et territoriaux de l’organisation du pouvoir, mais aussi l’imaginaire des populations.

      On peut considérer le « centre » comme le lieu d’origine d’un phénomène ou d’un territoire qui en dépend et constitue la « périphérie ». De ce fait, le centre s’octroie le droit de définir, décider, dominer, sécuriser, contrôler, percevoir et distribuer en léguant à la périphérie le « droit » d’accepter, obéir, se résigner. Plusieurs actions du centre se réalisent par l’intermédiaire de sous-centres et des élites provinciales, intervenant dans la vie des communautés locales, qu’elles soient ethniques, religieuses, rurales ou urbaines.

      Les conflits, souvent dramatiques, qui se produisent au sein de plusieurs États dans le monde actuel sont souvent provoqués par les dérèglements et les incompréhensions qui règnent dans les relations entre centre et périphéries. Le processus de centralisation et d’uniformisation au sein des États-nations fait partie des causes de tensions. Les revendications autonomistes et séparatistes trouvent un milieu propice dans la politique européenne qui favorise largement le développement des régions avec une politique décentralisée et la création des euro-régions au détriment des centres nationaux. Les représentations négatives faisant des périphéries des régions secondaires, négligeables ou arriérées sont en partie à l’origine de revendications autonomistes et séparatistes en Europe et dans le monde.

     Le phénomène est souvent déterminé par le niveau de développement : un centre plus évolué, plus riche, plus densément peuplé et une périphérie moins développée, voire sous-développée. La distribution des ressources économiques sur le territoire affecte aussi les relations politiques entre les régions les plus riches et les plus pauvres d’un pays. Il arrive que des régions plus développées que le centre politique revendiquent un rôle politique particulier allant jusqu’à la sécession. Enfin, les ambitions sociopolitiques des acteurs en question sont également consolidées par le rôle plus ou moins important joué dans le système politique mondial ou régional (Genève, New York, Strasbourg) et sous l’impulsion du développement décentralisé.

      En partant de la théorie du « colonialisme interne », il est également intéressant de s’interroger sur les hiérarchies politiques, notamment au sein des États multiethniques et de fédérations. La vocation économique de la périphérie consiste à fournir des matières premières dont la transformation finale est le plus souvent confiée au centre, plus développé et disposant d’une main d’œuvre qualifiée. Ce « partage de compétences » et les inégalités économiques qu’il provoque alimentent naturellement les mouvements nationalistes qui aspirent à une redistribution des compétences et des biens, susceptible d’aller jusqu’au séparatisme. La désertification du territoire et la migration massive vers les grands centres urbains ont un fort impact économique, et entrainent des conséquences souvent catastrophiques (abandon des terres, manque ou excès de main d’œuvre non qualifiée, paupérisation…) pour l’ensemble du pays, d’où l’idée que le centre et la périphérie sont en réalité profondément interdépendants et les allers-retours de l’un à l’autre reposent sur des mécanismes très fragiles. La sauvegarde du patrimoine (architectural et culturel) et du territoire dépend aussi de cette gestion, avec la négligence des centres qui délocalisent souvent ce qui est potentiellement dangereux vers les zones éloignées, et qui négligent parfois la protection des milieux naturels, de l’architecture traditionnelle et des monuments historiques en périphérie, pour ne pas parler des problèmes sanitaires et du niveau de vie des populations concernées.

     En effet, les relations entre centre et périphéries ne reposent pas seulement sur les stratifications politiques et économiques mais se basent également sur les aspects culturels. De ce fait, elles se concentrent sur la préservation des traditions et des appartenances ethniques, sociales, religieuses et linguistiques. L’analyse des pratiques et politiques culturelles s’intègre dans des modèles culturels imposés par les Etats. L’intégration ou la ghettoïsation des populations périphériques dépend d’ailleurs non seulement de la politique du centre, mais aussi de sa réception par les populations qui sont plus ou moins prêtes à renoncer à leurs spécificités, parfois par crainte d’être rejetés par les siens pour les individus qui s’éloignent des traditions du groupe d’appartenance. Les centres et les périphéries sont souvent, à leur façon, des « îles » reliées par des chemins et des pistes qui peuvent beaucoup varier suivant les situations locales. La structuration de l’espace géopolitique mais aussi mental et culturel peut même isoler des « périphéries centrales » : le communautarisme en est l’un des exemples le plus criants, là où des quartiers, des zones ou des rues concentrent une population qui continue de vivre suivant des logiques différentes par rapport à l’ensemble de la ville ou de la nation où ils se trouvent. Souvent synonymes de relégation, ces enclaves ethniques ont aussi permis à certaines cultures, religions et ethnies de survivre en dehors de leur patrie d’origine, comme ce fut longtemps le cas des communautés juives, arméniennes, chinoises, etc. Langues, traditions, parfois même accoutrement sont une marque de reconnaissance au sein de la communauté, mais aussi un signe qui peut faire en sorte que ces gens soient rejetés par le reste de la population, repoussés toujours du centre vers une périphérie réelle ou sociale. Dans des contextes hautement multiculturels et multiethniques, on trouve aussi des villes dans la ville (Chinatowns, Little Italies).

     Les relations centre-périphérie incluent également les rapports, les interactions entre les langues officielles et les langues minoritaires/régionales. Dans l’espace européen, ces relations sont régulées par des documents normatifs (Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, Convention européenne pour la protection et la promotion des langues employées par des minorités traditionnelles) mais ils sont plus ou moins bien appliqués. Dans quelle mesure la question linguistique peut devenir un facteur de division de la société ? De quel genre sont les réponses des pouvoirs officiels quand une langue minoritaire fait concurrence à la langue officielle, notamment, dans les pays issus de la chute des empires. Dans quelle mesure les sociétés multiculturelles et multilingues arrivent à trouver un équilibre entre, d’une part, la promotion de la langue ou des langues officielles et le respect, la garantie de développement des langues des minorités nationales ?

     Dans la littérature mondiale, il existe toujours des connexions entre différentes zones géographiques, culturelles et ethnolinguistiques. À l’ère de la mondialisation, les notions de centre et de périphérie dans les faits littéraires sont souvent envisagées au travers de la diversité d’expressions littéraires et artistiques en littératures générale et comparée. On peut également songer à la reconnaissance des auteurs qui écrivent en langues minoritaires et issus de territoires privés d’organisation étatique.

      Les notions de centre et de périphérie dans le système linguistique se présentent souvent sous forme d’opposition qui alimente différentes interprétations allant jusqu’à la distinction d’un « point » intermédiaire entre les deux, la transition. Ces notions sont de plus en plus utilisées dans l’analyse du discours, de la parole, des unités sémantico-structurelles, dans l’étude des procédés en morphologie lexicale, des variations phonologiques, aussi bien en synchronie qu’en diachronie. Enfin, comment évolue la traduction à travers le prisme des relations centre-périphérie ? Dans quelle mesure accentue-t-elle les antagonismes et les rivalités existantes ou crée-t-elle un terrain propice de coopération avec les acteurs (éditeurs, traducteurs) issus aussi bien du centre que des périphéries ?

     Dans une perspective transversale, les spécialistes de différentes disciplines pourront éclairer un ou plusieurs aspects évoqués dans cet appel à communication (sciences du langage, sociologie, anthropologie, ethnologie, droit, histoire, géopolitique, littérature…).

                                                                                                   

Bibliographie suggérée :

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Kamenoff Lydia et De Villaine Hortense (dir.), L’Empire : centre et périphéries, l’Harmattan, Paris, 2022.

Leperlier Tristan, « La langue des champs : Aires linguistiques transnationales et Espaces littéraires plurilingues, COnTEXTES, n° 28, « La littérature au-delà des nations. Hommage à Pascale Casanova », OpenEdition Journals, 2020.

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Sapiro Gisèle (dir.), Traduire la littérature et les sciences humaines : conditions et obstacles, Département des Études de la Prospective et des Statistiques (DEPS) et Ministère de la Culture et de la Communication, Paris, 2012.

Vachek Joseph (dir.), Travaux Linguistiques de Prague, vol. 2, « Les Problèmes du Centre et de la Périphérie du système de la langue », University of Alabama Press, 1966.


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